Ethique et politique
Amélie Oudéa-Castéra a-t-elle utilisé sa position de ministre pour créer une section sport-études à destination de son fils ?

[10/02/2024, édité le 15/02/2024]

En décembre 2023, le cabinet de la ministre des Sports et des Jeux Olympiques, dont l’avenir gouvernemental était incertain, aurait téléphoné directement au chef d’établissement du collège-lycée de La Baule (44) afin d’y créer très rapidement de nouvelles sections sport-études, notamment en tennis.


Par Alessio Motta

Si vous étiez ministre, si certaines de vos casseroles avaient déjà été révélées par la presse, si un remaniement gouvernemental se préparait, que feriez-vous ? Inévitablement, vous songeriez à l’après. C’est vraisemblablement ce qu’a fait la ministre des Sports Amélie Oudéa-Castéra en décembre 2023, alors qu’elle ne mesurait pas encore la tourmente qu’elle connaitrait en janvier.

 

Malgré son bref passage à l’éducation, la tâche centrale de la ministre et ancienne joueuse de tennis est actuellement la préparation des Jeux Olympiques de Paris 2024, mission qui prendra par définition fin à l'issue de l'été prochain. Son époux, Frédéric Oudéa, 60 ans, ancien PDG de la Société Générale qui s’est illustré en cachant au Parlement les pratiques d’évasion fiscale organisées par sa banque, a allégé son agenda depuis un an en quittant son poste au profit de la présidence de Sanofi, position nettement plus calme que le travail de directeur général. Cette présidence s’accompagne certes de quelques postes en conseils d’administration et de sièges symboliques et rémunérateurs dans des institutions. Mais comment ne pas comprendre que les Oudéa-Castéra sont à un moment où ils se préparent à une vie plus sereine et, au minimum, à mettre la famille à l’abris des soucis de la notoriété.

 

La sérénité, c’est dans le refuge de la très chic ville de La Baule que les Oudéa-Castéra la trouvent depuis des années. Leurs liens sont nombreux avec cette cité balnéaire située sur les côtes de Loire-Atlantique. Frédéric Oudéa, qui a passé sa jeunesse non loin, à Nantes, rejoignait l’appartement familial baulois pour y passer ses weekends de sport ou de fête. Le clan s’y rend aujourd’hui très régulièrement, entre autres pour les vacances au logement familial avec les enfants, où l’on joue au tennis avec les Pécresse, avec le maire (en tenue Belle époque) ou d’autres personnalités.

 

Passer davantage de temps à l’abris des villas de La Baule pourrait cependant compliquer la carrière du petit dernier, né en 2011 et dont le talent au tennis s’annonce prometteur, comme l’était celui de sa mère. Compliquer un peu, mais pas tant que ça : la Baule ne dispose certes pas d’un cadre d’apprentissage aussi réputé que celui du Lagardère Paris Racing, dont est membre le jeune garçon. Mais les équipements sont tout de même nombreux, tels ceux du Tennis Country Club Barrière La Baule par lequel sont passés quelques joueurs classés qui ne sont pas inconnus de la famille.

 

Reste à s’assurer qu’une section sport-études digne de ce nom permettra l’aménagement de la scolarité du jeune champion. C’est là que l’on revient en décembre 2023, où le cabinet de la ministre passe un coup de fil au chef d’établissement d’un lycée pour une injonction inattendue. Malgré les annonces faites par le gouvernement en 2023 sur le doublement des places en sport-études d’ici 2027, aucune demande aussi ambitieuse, urgente et cavalière que celle-ci ne semble avoir été faite à d’autres établissements du pays (nous restons cependant preneurs de toute source contredisant cette affirmation). Le cabinet a téléphoné au chef d’établissement du collège-lycée Grand Air, le seul de La Baule, pour créer pas moins de 8 nouvelles sections sport-études dès la rentrée 2024, notamment en tennis.

 

Le syndicat FSU 44, qui s’étonne d’un « projet soudainement révélé » et nécessitant une hausse substantielle des moyens alors que ces derniers sont en baisse dans l’académie, note que l’annonce s’est faite de façon interpersonnelle entre le cabinet de la ministre et le chef d’établissement sans que le conseil d’établissement ni même la région (qui a la charge des lycées) ne soient mis dans la boucle.

 

On ne saurait dire si la scolarisation du fils d’Amélie Oudéa-Castéra au collège-lycée de La Baule est un plan certain ou une option parmi d’autres pour la famille, mais l’affaire a tout d’un usage d'une position ministérielle à des fins personnelles.



Note de l'auteur, le 13/02/24 :


Par souci de transparence, nous avons souhaité répondre aux quelques objections qui ont été faites à l’article. Ces précisions permettront en outre à Mme Oudéa-Castéra d’éviter certains pièges dans sa défense si elle jamais elle est amenée à se justifier publiquement sur le sujet.


D’après quelques personnes, l’article ne respecterait pas la présomption d’innocence. Nous contestons ce point. L’article respecte pleinement la présomption d’innocence. Il ne pose pas de verdict mais décrit des faits de nature à faire peser un très fort soupçon sur les pratiques de la Ministre.


Le coup de téléphone au chef d’établissement, contrairement à ce qu’affirment quelques commentaires, n’est pas une supposition : c’est une information du chef d’établissement lui-même qui a été relayée publiquement par la FSU locale (cf. sources dans l'article). Comme l’ont fait remarquer d’autres lecteurs et lectrices, le fait que des personnes bien placées dans l’administration territoriale, académique ou nationale fassent jouer leurs contacts pour créer des sections à destination de leurs enfants est une pratique somme toute plutôt banale mais qui, dans l’immense majorité des cas, n’est renseignée que par la rumeur. Il est rare de disposer, comme ici, d’informations attestant de l’existence d’une prise de contact impromptue.


Un autre élément important sur lequel repose le soupçon est le fait que l’établissement de La Baule semble avoir été le seul concerné par une intervention ministérielle de cet acabit. Nous avons poursuivi nos recherches sur ce point sans en trouver d’autre et nous les poursuivons encore. Nous restons par ailleurs preneurs de toute information en ce sens, mais malgré le million de vues atteint hier par l’article, nous n’en avons reçu aucune.


Nous souhaitons d’ailleurs ajouter une remarque plus subjective sur ce point : même si cela porte fortement atteinte à l’exemplarité attendue pour la fonction de ministre, le fait qu’il s’agisse vraisemblablement d’une affaire d’intérêts personnels est certainement l’option la plus rassurante. Car dans le cas contraire, cela signifierait que la Ministre a réellement considéré que, parmi tous les établissements d’enseignement secondaire de France, celui de La Baule était celui qui nécessitait la plus urgente hausse des moyens pour le sport, quand tout le reste de l’académie (et même les établissements des zones les plus pauvres) se voit au contraire privé de financement pour les choses les plus élémentaires (maintien de classes, cartouches d’encres pour les imprimantes…). Une telle évaluation mettrait en question les compétences ministérielles de façon bien plus grave qu’un banal conflit d’intérêt.


Enfin, une personne nous a rappelé qu’il existe déjà depuis plusieurs années quelques places en sport-études tennis à la cité scolaire Grand Air de La Baule. C’est bien le cas, et il en existe également quelques-unes dans d’autres établissements situés non loin, dans le département. On en trouve notamment au collège-lycée Saint-Louis, établissement privé ayant une réputation favorable, mais situé à 25 minutes de voiture de La Baule, dans la commune nettement moins guindée de Saint-Nazaire. Mais ce qui est en question ici n’est pas l'existence en soi d’une section tennis. Les personnes faisant appel à ce type d’aménagement scolaire savent que toutes les sections sport-études ne se valent pas en termes de prestige, d’équipement et de coaching. Créer des sections tennis supplémentaires dans l’établissement de La Baule, c’est amener davantage de moyens financiers permettant, non seulement d’augmenter les effectifs de jeunes formés, mais aussi d’améliorer, rénover, attirer les meilleurs coachs et faire de cette cité scolaire une référence en la matière. Un "pôle d'excellence", pour adopter un vocabulaire managérial contemporain.


Note de complémentaire de l'auteur suite à l'article de Libération, le 15/02/24 :

 

Le 15 février est paru, dans Libération CheckNews, un texte revenant sur l’affaire ouverte par les communiqués de la FSU 44 puis par mon article. Je salue le travail de CheckNews, qui confirme une partie importante de mes informations et pousse l’enquête plus loin, apportant des éléments détaillés sur les échanges qui ont eu lieu entre le cabinet d’Amélie Oudéa-Castéra, le professeur de tennis de son fils et le chef de l’établissement Grand Air à La Baule. Je souhaite cependant apporter quelques précisions.

 

Tout d'abord, bien que les équipes de CheckNews n’aient pas pu vérifier l’existence de l’appel entre le cabinet de la Ministre et le chef d’établissement, celui-ci est bien sourcé dans notre article puisqu’il a été explicitement mentionné dans le texte de la FSU. Nous n’avons pas pu vérifier directement l’existence de cet appel mais il nous a été confirmé qu’il avait bien été évoqué par le chef d’établissement, malgré les rétropédalages ultérieurs.

 

Malgré les liens d’amitié et d’intérêts personnels qui ont mené au projet de création des sections sportives en cause, il y a inévitablement une part d’incertitude sur ce qu’est précisément l’intention de la ministre, notamment quant à la scolarisation de son fils. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas présenté cette intention comme pouvant faire l’objet d’affirmations certaines mais ai choisi de réunir tous les indices sourcés qui pouvaient nourrir la réflexion sur le sujet. Car, quels que soient les moyens d’enquête d’un média, il est bien évidemment impossible de savoir quelle est la volonté personnelle d’Amélie Oudéa-Castéra, de son mari ou de leur fils pour la rentrée scolaire 2024, 2025 ou 2026.

 

En somme, les seuls adultes détenant l’information en question sont des personnes rayonnant par leur faculté aujourd’hui démontrée à mentir aux médias ou à une commission d’enquête parlementaire (cf. l’article et les liens plus haut). Il conviendra d’être conscients, donc, que l’affirmation émanant du cabinet ministériel selon laquelle cette hypothèse est « totalement fantaisiste » n’a pas de valeur particulière. Il s’agit d’un élément de langage ordinaire utilisé par les entourages ministériels face à toute affaire déplaisante et, surtout, il n’y a aucune raison pour que les membres du cabinet soient au courant des souhaits personnels de la Ministre.

 

Des rumeurs à La Baule font certes état depuis plusieurs semaines de cette intention et je les ai évoquées lorsque j’ai été contacté par Libération le 14 février. Cependant, comme je l’ai précisé lors de cet appel : « il y a des rumeurs locales là-dessus mais je me suis refusé à en faire une source et en faire le moindre usage dans l'article ». Je remercie au passage la journaliste d’avoir corrigé le texte de CheckNews qui, dans une première version (en ligne pendant quelques heures), tronquait cette phrase et pouvait laisser croire le contraire.

 

J’aurais cependant espéré que les moyens d’enquête de Libération permettent d’explorer l’un des éléments les plus susceptibles de créer une suspicion légitime dans ce dossier : l'établissement de La Baule est-il bien le seul en France, comme il nous le semble jusqu’ici, à avoir fait l’objet d’un tel traitement ? Peut-être n’est-ce que le début de l’enquête, mais il sera d'autant plus difficile de sortir de l'incertitude que le projet en cause semble avoir été abandonné suite aux révélations de janvier sur la Ministre.