Psychiatrie, #metoo, climat… quelques leçons sur la vie des sciences
L'engagement des chercheurs, une nécessité scientifique

[23/05/2024]  La science n’est pas faite que de science. Elle est faite par des humains qui, comme tous, sont imbibés de traditions, vieux réflexes et habitudes de travail… Autant d’entraves à l’exercice de leur spécialité. Quand une tradition est inscrite en nous par notre éducation et notre environnement, elle nous empêche d’envisager certaines pensées, ce qui, même dans la démarche scientifique, crée des points aveugles.


Il est par conséquent impossible de penser le progrès scientifique sans ces moments d’engagements qui conduisent des chercheurs et chercheuses à voir une question sous un nouvel angle.


Par Alessio Motta

Sans engagement des chercheurs, le système psychiatrique américain, notamment, serait encore cette machine à torture de la première moitié du 20e siècle que l’on représente dans un grand nombre de films, livres et autres fictions et dans laquelle on enfermait malades, criminels ou homosexuels… Des travaux pourtant unanimement reconnus comme d’une valeur scientifique immense (pensons à l’ouvrage Asiles de Goffman) ont contribué à faire évoluer des pratiques médicales dont les fondements scientifiques étaient largement sapés par les croyances dans les vertus punitives de la violence et de la privation de liberté.

Un exemple bien plus récent permet de mieux comprendre pourquoi l’engagement est salvateur pour la science. Pendant des décennies, une grande partie des psychologues et psychologues du couple ont accordé peu d’importance aux violences sexuelles “ordinaires” que vivaient beaucoup de femmes dans leur couple : pressions, culpabilisations, rapports qui ne semblaient consentis que par le silence d’une femme en “étoile de mer”… Ce n’est pas seulement le grand public qui a été largement aveugle à la question, mais aussi la société scientifique. Nombre de psychologues du couple suggéraient au mari d’être un peu plus doux et à la femme d’être un peu plus compréhensive, de faire un effort au lit pour soulager monsieur et préserver l’harmonie érotique du foyer. Beaucoup de scientifiques et praticiens n’ont jamais compris pourquoi, dépourvues d’un soutien clair sur ces questions, des femmes construisaient des stratégies d’évitement du lit conjugal, traînaient et s’endormaient plus ou moins volontairement chaque soir devant la télé, puis rejoignaient leur chambre les yeux mi-clos pour conserver une vie de couple pacifique tout en fuyant l’affrontement que représentaient pour elles les pressions de leur conjoint.

Quand le mouvement #metoo est arrivé, une partie des psychologues, et même des psychiatres, chercheurs ou praticiens, ont doucement commencé à remettre en question leurs discours et la façon de recevoir ces témoignages féminins. Concrètement, cela signifie qu’un mouvement militant destiné au grand public a bouleversé des sciences en faisant réaliser à leurs spécialistes que leur travail avait ignoré tout un univers qu’ils auraient dû observer aussi ! Les sociologues, dont la communauté tolère relativement bien les engagements militants, ont réalisé que, sans avoir tout vu, ils comptaient tout de même une poignée de chercheuses spécialistes du genre qui avaient déjà étudié le problème et travaillaient dessus depuis plusieurs décennies. Si les disciplines médicales avaient bénéficié davantage de cette influence scientifique-militante, peut-être auraient-elles pu réagir plus tôt aux violences sexuelles et améliorer la vie de millions de femmes au cours des décennies passées.

Il en va de même pour tout sujet d’étude scientifique, des questions de discriminations aux recherches sur climat, de la micro-économie à la biologie. La prochaine fois que vous entendrez quelqu’un reprocher à des scientifiques d’être engagés, pensez à cela. Aucun groupe de gens, même parmi ceux qui pratiquent des sciences, n’est étanche à la société, à ses croyances et ses traditions. Si vous demandez aux scientifiques de faire comme si leurs critiques, leurs idées et leurs envies de changer les choses n’existaient pas, vous n’obtiendrez pas une science neutre ou objective. Vous obtiendrez une science figée dans le passé.

Pour aller plus loin, un article plus détaillé publié dans AOC.

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