Violences faites aux femmes
Moins d'un viol sur 200 dans l'UE aboutirait à une condamnation

[13/12/2023]

Dans le cadre d’une mission, l’ONG Avaaz nous a demandé s’il était possible d’évaluer la portion des viols subis par des femmes qui aboutissent à une condamnation par un tribunal en Union européenne et au Royaume-Uni. La demande est délicate au vu des très faibles budgets consacrés, en France et en Europe, à la recherche sur les violences sexuelles. Le croisement de différentes sources permet cependant d’évaluer cette portion à environ 0,5 %, voire moins.

Malgré #Metoo, les recherches sur les violences sexuelles bénéficient de trop peu de moyens en France et en Europe. Des projets particulièrement intéressants ont vu le jour comme l’enquête Virage, mais les recherches sur fonds publics sont rares. Beaucoup de pays ne publient pas de données détaillées sur les signalements de violences sexuelles, plaintes et condamnations. L’enquête européenne FRA - European Union Agency for Fundamental Rights publiée en 2014 gagnerait à être remise à jour au vu des formes d’évolutions des consciences qu’ont pu générer les mouvements #MeToo, mais cela ne semble pas à l’ordre du jour. En utilisant les données disponibles, il est cependant possible de produire une évaluation crédible du nombre de viols subis par des femmes aboutissant à une condamnation dans l’ensemble formé par l’Union Européenne et le Royaume-Uni. Petite explication :

 

Le chiffre portera sur les viols subis par des femmes de 15 ans et plus, seuil sur lequel la plupart des données judiciaires sur les pays européens sont basés (les viols sur mineures de moins de 15 ans donnant lieu à des condamnations pour motifs spécifiques). Or, on compte, d’après des données officielles, 227 196 588 femmes de 15 ans ou plus en 2020 dans l’ensemble formé par l'Union européenne et le Royaume-Uni.

 

L’enquête européenne FRA - European Union Agency for Fundamental Rights menée au début des années 2010 auprès de 42 000 femmes de pays membres de l’UE à 28 (incluant le Royaume-Uni) établit que 0,8 % d’entre elles affirment avoir été victimes d’au moins un viol au cours des 12 derniers mois (p. 42). La question a été posée à des femmes de 18 ans et plus, ce qui conduit les auteurs et autrices de l’étude à évaluer le nombre de victimes annuelles en Europe à 1,5 millions. Cependant, si nous rapportons le même taux à la population de 2020 de 15 ans et plus (puisque c’est sur cette population que sont basées la plupart des données judiciaires que nous avons trouvées sur les violences sexuelles), nous arrivons à un chiffre un peu plus élevé : [(227 196 588 x 0,8)/100] = 1 817 573.

 

Il est important, cependant, de noter que ce taux sous-évalue certainement la réalité des viols, puisque la question posée aux enquêtées est basée sur l’idée de pénétration par la force. Trois autres questions ont été posées ensuite, sur les tentatives de viols par la force au cours des douze derniers mois ; sur le fait d’avoir été engagée dans des activités sexuelles contre son grès ; et sur le fait d’avoir accepté des relations par peur des conséquences en cas de refus. Cependant, les deux dernières questions ne distinguent pas les situations d’agression sexuelles des viols à proprement parler (avec pénétration). Sachant qu’il a été demandé aux répondantes d’exclure les cas évoqués lors de la première question (viol par la force) lorsqu’elles abordaient les suivantes (participation à des activités sexuelles non désirées, peur, cf p. 40-41) ; sachant que chacune des quatre questions donne 0,8 ou 0,9 % de réponses positives ; supposant que les viols sont considérés dans l’essentiel des données publiques comme représentant au maximum la moitié des violences sexuelles signalées (cf. en exemple une publication Insee "Sécurité et société", 2021), le total des femmes ayant subi un viol est potentiellement deux fois plus élevé que les 0,8 % mentionnés plus haut. Cela porte la fourchette des femmes victimes de viols chaque année dans l’ensemble Union européenne et Royaume-Uni entre 1,8 millions et 3,6 millions. Ayons à l’esprit que cette fourchette est vraisemblablement très en-dessous du nombre de viols effectivement subis, puisque de nombreuses femmes sont victimes de viols répétés, notamment au sein de relations de couples.

 

Venons-en aux condamnations : le nombre de personnes condamnées pour viols en Union européenne et Royaume-Uni, si l’on en croit les chiffres disponibles sur Eurostats sur la période 2014-2021, est en moyenne de 10 807 par an. Il s’agit là de la somme des moyennes annuelles par pays sur la base des années pour lesquelles les données sont disponibles pour chaque pays. Notons que la quasi-totalité sont des hommes. Les données européennes convergent pour situer à environ 9/10e la proportion de viols dont les victimes sont des femmes. A supposer que ce taux se maintient pour les viols faisant l’objet d’une condamnation, le nombre de personnes condamnées pour des viols sur femmes en Union européenne et Royaume-Uni serait donc de [10 807 x 0,9] = 9 726.


Les données ainsi constituées comportent certes des limites autres que celles que nous avons déjà mentionnées : elles ne peuvent prendre en compte la diversité des perceptions et enjeux de la déclaration d’un viol selon les pays, ni la diversité des modes de recueil statistique des informations sur les condamnations. D’autre part, elles invisibilisent les cas dans lesquels un homme est condamné la même année pour des viols multiples, commis notamment sur différentes personnes. Au vu de la régularité des données observées (les résultats sont proches de ceux observés dans les pays pour lesquels on dispose du nombre de condamnations), elles permettent cependant d’évaluer d’une façon correcte le ratio [condamnations pour viol sur femmes / nombre de femmes victimes de viols] en Union européenne et Royaume-Uni sur la décennie passée. Si l’on se base sur une évaluation du nombre de femmes victimes située en bas de la fourchette, on obtient [9 726/1 817 573]= 0,00535109, soit environ 0,5 %. Si l’on se base sur une évaluation haute du nombre de femmes victimes, le taux de condamnation est deux fois moins élevé et descend donc à environ 0,25%.

 

On peut donc raisonnablement situer en-dessous d’un sur 200 les viols sur femmes aboutissant à une condamnation dans l'ensemble formé par l'Union européenne et le Royaume-Uni.