La demi-journée "avenir professionnel" au collège
Enjeux pratiques et historiques d’une mesure de dernière minute 

[27/06/2023]

Le 26 juin au soir, le Président Emmanuel Macron a annoncé "généraliser à partir de la rentrée la demi-journée 'avenir professionnel' une fois tous les 15 jours dès la cinquième". La mesure, présentée en dernière minute alors que beaucoup d’équipes pédagogiques de collèges ont déjà avancé sur leur planning de l’an prochain, semble sortir de nulle part. Elle est pourtant au croisement de nombreux enjeux de société sur lesquels nous proposons ici un point.

D’où vient-elle ? Comment s’intègrera-t-elle dans les emplois du temps ?

Peu de détails sont disponibles à ce jour et, si elle est effectivement appliquée, cette mesure viendra, comme d’autres depuis six ans, bouleverser l’organisation des enseignants du secondaire sans que ces derniers ni leurs organisations professionnelles n’aient été consultés. Le sujet n’étant pas sur la table à l’Assemblée nationale, elle devrait prendre la forme d’un décret et donc échapper aussi à la consultation des parlementaires.

Les principaux éléments dont on dispose à propos de cette demi-journée "avenir professionnel" sont issus du programme du candidat Macron à l’élection présidentielle, qui annonçait qu’elle se ferait en transformant l’enseignement de technologie. La technologie étant l’une des matières connaissant les plus graves pénuries d’enseignants, il s’agirait pour le président de faire d’une pierre deux coups en amenant les entreprises dans l’école tout en diminuant les besoins strictement liés à l’enseignement de technologie.

Ce qu’elle dit sur le rapport du Président à l’institution scolaire


Au-delà des questions techniques, cette demi-journée vient renforcer les positions du Président sur l’enseignement secondaire et leur donner une résonnance historique majeure. Car le rôle de l’école, du collège et du lycée ont fait l’objet de beaucoup de discussions depuis près de 200 ans au sein de la communauté scolaire, du monde politique et chez les chercheurs.

Longtemps, un débat a agité une partie de la communauté des historiens, sur les liens entre l’économie, l’Etat, l’institution scolaire et la construction de la nation au 19e siècle. Des historiens et sociologues marxistes affirmaient que la construction de la nation avait énormément à voir avec la volonté de l’État de jouer le rôle que les industriels attendaient de lui : la révolution industrielle conduisait les grands entrepreneurs à avoir besoin de main-d’œuvre pour remplir les usines d’ouvriers, mais la plupart des gens n’étaient éduqués que par leur communauté villageoise, parlaient des patois locaux et n’étaient préparés qu’aux travaux des champs. D'après ces chercheurs, l’État aurait répondu au besoin des industriels en fournissant une main-d’œuvre partageant une langue, une culture commune et une capacité d’adaptation à des nouvelles formes de travail, grâce aux nouvelles lois sur l’éducation, notamment aux lois Ferry.

 

On a beaucoup reproché aux promoteurs de ces approches leur côté marxiste et "finaliste", c’est-à-dire leur tendance à affirmer que le développement de la nation et le rôle de l’école s’inscrivaient dans un projet dessiné par les capitalistes et dans lequel l’État jouait un simple rôle d’assistant d’exécution. Nombre d’auteurs ayant des approches plus constructivistes ont souligné que les choses étaient en réalité bien plus complexes, emmêlées et indéterminées que cela. Dans le fond, les politiciens qui légiféraient sur l’école avaient effectivement des discours, approches et objectifs d’une grande diversité qui interdisaient de réduire l’institution scolaire à un simple outil du développement économique.


En cela, les positions affirmées par Emmanuel Macron marquent une rupture. Tout d’abord, l’absence de concertation réduit inévitablement la diversité des préoccupations qui viennent se mêler pour faire de l’école ce qu’elle sera demain. Mais surtout, en annonçant qu’une demi-journée tous les 15 jours serait consacrée, dès la cinquième, à des interventions d’entreprises du bassin d’emploi local pour parler de l’avenir professionnel des enfants, le Président semble décider, comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait fait, de donner fortement raison aux marxistes : pour lui, le collège devra être avant tout un outil d’optimisation du marché du travail.